Florian Rollin est chef de projet « développement économique » pour l’association nationale Constructions & Bioressources. Il nous livre ses perspectives sur l’intégration des matériaux biosourcés dans le bâtiment de demain et leurs avantages économiques, sociaux et environnementaux. Selon lui, le label « Bâtiment Biosourcé » rendu réglementaire par l’Etat le 19 décembre 2012 et la prise en compte de l’énergie grise dans la future RT2020 sont des signaux porteurs d’un bel avenir pour cette filière encore naissante. Démonstration.
Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?
J’ai un parcours assez atypique puisque j’ai fait les classes préparatoires aux grandes écoles, j’ai continué en école d’ingénieur en informatique (Télécom ParisTech) puis j’ai suivi le Mastère spécialisé « Management et Nouvelles Technologies » à HEC Paris. Je suis entré directement au Ministère de l’Ecologie pour travailler sur le Plan Bâtiment Grenelle (aujourd’hui Plan Bâtiment Durable) qui a pour mission de mettre en œuvre la politique du gouvernement dans le bâtiment durable et de fédérer les professionnels du secteur. D’abord en charge de la création du site Web du Plan Bâtiment, j’ai ensuite suivi plusieurs thématiques telles que la RT2012, l’innovation dans le bâtiment ou encore les énergies renouvelables intégrées aux bâtiments. En mars 2012, j’ai rejoint l’association Constructions & Bioressources, récemment créée.
Qu’est ce que l’association Constructions & Bioressources ?
Constructions & Bioressources est une association loi de 1901 créée à l’initiative du Ministère de l’Ecologie et des filières de matériaux biosourcés dans la construction, suite à la proposition du groupe de travail interministériel « Matériaux de construction biosourcés », pour pallier à la désorganisation du secteur. Notre but est de développer la filière, de fédérer, d’accompagner ses acteurs et de défendre leurs intérêts auprès des autorités.
Parmi les matériaux biosourcés rentrent notamment des matériaux isolants naturels comme le bois, la paille, le lin, le chanvre, la laine de mouton, la ouate de cellulose, le textile recyclé ou encore le miscanthus. La liste n’est pas exhaustive !
Notre association est financée par des subventions du Ministère de l’Ecologie et du Conseil Régional de Bourgogne, l’association étant basée à Sens dans l’Yonne, sous forme de prestations pour des missions d’accompagnement que nous menons auprès de collectivités territoriales, de filières ou d’industriels. Enfin, nous sommes également financés par nos adhérents bien sûr.
Avez-vous participé au Débat National sur la Transition Energétique ?
Indirectement oui. Notre Congrès annuel Constructions & Bioressources 2013 a été labellisé « Evénement du Débat National sur la Transition Energétique », évènement au cours duquel nous avons traité de l’état d’avancement et de la stratégie d’avenir de la filière avec des membres du Conseil National de la Transition Energétique. Nous avons apporté notre contribution en évoquant l’intérêt non seulement de l’efficacité mais aussi de la sobriété énergétique sur laquelle agissent aussi les matériaux biosourcés. Nous militons sur la prise en compte de l’énergie grise dans la réglementation, c’est-à-dire toute l’énergie produite au cours du « process » de fabrication du matériau. Par exemple, certains matériaux nécessite d’être chauffés à très haute température pour être fabriqués (laine de verre, ciment, etc.), tandis que certains matériaux biosourcés peuvent être mis en œuvre directement sans aucune transformation ou presque (bottes de paille, fibres en vrac, etc.). Ce second cas est beaucoup moins énergivore.
Depuis quand utilise-t-on des bioressources dans la construction ?
Depuis très longtemps, c’est même millénaire ! Le torchis par exemple est un béton naturel fait d’argile, d’eau et de paille utilisé depuis l’Antiquité, de même que l’usage de la pierre qui est très ancien. D’autres sont plus récents comme le chanvre ou la ouate de cellulose.
Quels sont les avantages des bioressources ?
Il faut savoir que tous les avantages annoncés ne sont pas nécessairement « prouvés » car il y a encore une part importante d’expérimentation. Cependant on est déjà sûr de certaines choses. Je distinguerais 3 sortes d’avantages chacun relié à un des trois aspects du développement durable.
Premièrement, la production de biomatériaux est respectueuse de l’environnement car généralement peu énergivore (attention à ne pas généraliser). Ils ont aussi une fonction de stockage de CO2. Enfin certaines cultures associées, comme celles du lin et du chanvre, nécessitent peu d’intrants et peu ou pas de produits phytosanitaires, un bénéfice supplémentaire pour l’environnement.
Sur l’aspect social, les bioressources améliorent le confort thermique et sanitaire des habitations car on peut supposer qu’ils propagent moins de composants organiques volatiles (COV) dans l’atmosphère à l’inverse de produits synthétiques. Ces matériaux peuvent donc apporter une réponse face à la prise de conscience concernant la pollution de l’air intérieur des bâtiments, parfois plus pollué qu’à l’extérieur ! Enfin les caractéristiques hygrothermiques de ces biomatériaux peuvent permettre de réguler la température et l’humidité des bâtiments, souvent responsables de la dégradation des vieux immeubles et de la propagation des moisissures.
Enfin, sur l’aspect économique, le développement des filières de matériaux biosourcés est souvent associé à une dynamique de territoire : utilisation de bioressources, transformation, fabrication et mise en œuvre locales. Ces filières sont créatrices d’activité et d’emplois locaux non-délocalisables.
Pourquoi n’importerait-on pas le bois des pays nordiques comme c’est déjà beaucoup le cas ?
Parce qu’on a du bois en France, des Vosges jusqu’en Aquitaine ! On importe en effet beaucoup de bois scandinaves mais produire en France permet de faire des économies sur les transports et de développer une filière locale rentable qui agit sur toute la chaîne du produit.
Le prix encore élevé des matériaux biosourcés est-il un frein à son développement ?
En effet, les matériaux biosourcés ont un coût, parfois plus élevé, mais il y aurait une certaine méprise à s’arrêter là. Ils sont plus chers qu’une laine de verre (10 à 30% de plus pour la même épaisseur d’isolant) mais il n’y a pas la même qualité et le même confort derrière ! La durabilité est aussi bien supérieure, en fait c’est même un investissement rentable pour le ménage sur le long-terme. Toutes ces qualités ne sont pas encore nécessairement démontrées cependant. Il y a encore du travail à faire sur ces aspects, ce que nous nous efforçons de mener.
Les externalités positives sur l’environnement ne sont par ailleurs pas prises en compte dans les prix. Des mécanismes économiques, comme une taxe carbone, permettraient par exemple d’intégrer le coût « environnemental » dans les modèles actuels. Pour l’anecdote, le marché du carbone a ouvert à 80€ la tonne en Corée du Sud alors qu’elle coûte 4€ en Europe aujourd’hui !
N’y a-t-il pas un risque de conflit avec l’usage de végétaux pour l’alimentation ? Et de déforestation pour le bois ?
Effectivement, comme toute ressource, on ne doit pas faire n’importe quoi de sa gestion et de ses usages. Mais à la différence du pétrole et du gaz par exemple, ce sont des matières renouvelables ! De plus, l’énergie dépensée dans la fabrication du bois de construction est compensée par sa fonction de stockage du C02. Quant à la déforestation, cela n’est pas vrai en Europe où la forêt croît.
Par contre pour des productions comme celle du chanvre ou du lin, il peut y avoir conflit avec l’alimentation. Toutefois, ils peuvent se consommer sous forme d’huiles ou de compléments alimentaires pour les hommes, ou sous forme de tourteaux pour l’élevage. En réalité, les surfaces dédiées sont très faibles et même en cas de fort développement de l’isolation en fibre végétale, il n’y aurait pas de substitution avec la vocation alimentaire des terres. La question se pose davantage concernant la production d’énergie, qui absorbe davantage de matière, et dans certains pays en développement.
Il faut rappeler également que le Grenelle de l’Environnement a hiérarchisé l’usage de la biomasse en cas de conflit : d’abord l’alimentation, puis la fabrication de matériaux et enfin la production d’énergie. La logique est bonne même si pour l’instant la question se pose peu concernant les matériaux de construction.
Quels sont les biomatériaux les plus prometteurs ?
La question est très complexe. En terme de part de marché, les matériaux biosourcés les plus en avance sont la ouate de cellulose et la fibre de bois. Leurs coûts baissent au fil des années et ils sont performants. Il y a aussi un potentiel important dans la fabrication de bétons végétaux et dans la construction en paille qui se développent bien en France.
En dehors du marché de l’isolation, il y aussi d’autres marchés moins concurrentiels où les matériaux biosourcés peuvent plus facilement se développer. C’est le cas du linoleum pour les revêtements de sols par exemple, qui est commercialisé depuis longtemps.
Qu’en est-il de la place des biomatériaux dans la Réglementation Thermique 2012 ?
La RT2012 prend en compte la conductibilité thermique des isolants mais ne regarde pas les autres paramètres comme la gestion de l’humidité. Les isolants biosourcés ont des caractéristiques hygrothermiques qui permettent de réguler l’humidité et d’améliorer l’inertie thermique. Une toiture isolée par une fibre de bois va retenir la chaleur pendant la journée et la propager pendant la nuit, c’est le déphasage. Par ailleurs, une laine de verre va être très vite dégradée par l’humidité. La RT2012 pénalise les matériaux biosourcés en négligeant ces aspects et en exigeant de ce fait des épaisseurs d’isolant supérieures pour les matériaux biosourcés.
De plus, on commence à se rendre compte que le confort d’été n’est pas très bien évalué. On fait de nos maisons des « bouteilles thermos » étanches qui respirent uniquement grâce à de la ventilation mécanique double flux alors qu’on pourrait faire des maisons plus confortables et sobres énergétiquement grâce une conception intelligente faisant appel à des matériaux naturellement performants et de la ventilation naturelle par exemple.
La RT2020 devrait-elle aller plus loin comme vous le préconisez ?
Il semble y avoir une volonté politique d’aller plus loin que la thermique du bâtiment. Le ministère a créé un label « Bâtiment Biosourcé » publié au journal officiel par arrêté le 23 décembre 2012 qui sera bientôt proposé par les organismes certificateurs. De plus, le Plan Bâtiment Durable a lancé un groupe de travail « Réflexion Bâtiment Responsable 2020-2050 » qui amène certains sujets sur la table. L’empreinte environnementale des bâtiments et par là même les isolants biosourcés devraient faire partie de la RT2020. Les labels de l’association Effinergie sont aussi à regarder de près car ils préfigurent généralement les réglementations futures.
Le système vertueux de la biomasse
N’hésitez pas à faire appel à votre bureau d’étude thermique qui saura vous conseiller sur les résistances thermiques des isolants biosourcés et leur adéquation avec la RT2012.
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