Michel_Klein_MAFMichel Klein est directeur des sinistres à la Mutuelle des Architectes Français. Il nous fait part des risques liés à l’entrée en vigueur récente de la RT2012. Il rappelle en outre qu’un particulier se lançant dans la construction de sa maison et son architecte doivent choisir un bureau d’études thermiques fiable, assuré par une garantie correspondante à sa mission et qui maîtrise bien ses sujets.

Pouvez-vous nous présenter votre parcours personnel ainsi que la Mutuelle des Architectes Français pour ceux qui ne vous connaissent pas ?

A titre personnel, j’ai commencé par faire de la gestion de sinistres pendant 15 ans sur différents types de sinistres construction (architectes, BET, puis dommages-ouvrage). J’ai ensuite, dirigé le service des contrats durant 10 ans et depuis juin 2012 je suis en charge de la direction des sinistres.

La MAF (Mutuelle des Architectes Français) est une mutuelle professionnelle créée il y a plus de 80 ans par les architectes pour les architectes. Elle s’est ensuite ouverte aux bureaux d’études techniques du bâtiment qui sont maintenant regroupés au sein de sa filiale EUROMAF (Ndlr : Sénova est un bureau d’études thermiques assuré chez EUROMAF).

La RT2012 est entrée en vigueur pour tout type de logements depuis maintenant plus de 7 mois. Avez-vous un premier retour d’expérience et si oui, lequel ?

C’est encore un peu tôt pour connaître les sinistres qui relèveraient de la RT 2012. Nous avons quand même déjà eu à traiter une réclamation. C’est une réclamation en cours de chantier où l’architecte a apporté des modifications au projet sans se soucier de l’étude thermique initiale et il s’est rendu compte après coup que l’on ne respectait plus la RT2012 du fait de ces modifications… L’expertise est en cours pour déterminer les responsabilités et les solutions techniques.

Pour la MAF, quels sont les risques liés à la RT 2012 ?

En tant que directeur des sinistres et en charge du dossier de la RT 2012 à la MAF, j’ai recensé certains types de sinistres suivant que l’on se place avant ou après la réception :

Les sinistres avant réception du chantier :

Avant la réception du chantier, l’assurance décennale des entreprises œuvrant sur le chantier ne s’applique pas. En effet, la garantie commence à s’appliquer à compter de la date de réception du chantier. Seuls les architectes ont l’obligation réglementaire d’être assurés dès ce stade et les BET (assurés chez Euromaf) le sont également. Donc si un sinistre intervient en cours de chantier et que la responsabilité est principalement celle des entreprises de la construction (par exemple : mauvaise exécution des travaux)  et/ou qu’il n’y a pas de maître d’œuvre, le risque serait alors, que les entreprises soient incapables de reprendre leurs ouvrages et soient mises en liquidation judiciaire. Dans ce contexte, il n’y a  plus personne pour porter la responsabilité du sinistre à l’exception, le cas échéant, de l’architecte et du BET.

Il faut donc être particulièrement attentif à ces risques :

  • Modification du projet sans mise à jour préalable de l’étude thermique pour vérifier que ces modifications permettent toujours bien au bâtiment d’être conforme à la RT 2012. C’est l’objet de la première réclamation RT 2012 dont j’ai parlé ci-dessus.
  • En cas de test d’étanchéité à l’air totalement hors des clous, on est dans le cas d’une mauvaise exécution des travaux avec toutes les conséquences précédemment évoquées ci-dessus. Pour limiter ce risque, la MAF recommande de faire absolument un test intermédiaire d’infiltrométrie.
  • Refus de délivrance de l’attestation de prise en compte de la RT 2012 à l’achèvement des travaux. Un peu comme lorsque le contrôleur technique refuse de lever ses réserves et que l’on se retrouve dans la  situation d’un chantier bloqué où l’on doit alors rechercher des solutions.  

Les sinistres après réception du chantier :

Tous les acteurs ayant pris part à la construction ont alors une garantie décennale obligatoire. La responsabilité décennale ne peut être recherchée que si des dommages matériels affectent la solidité ou entraînent une impropriété à la destination du bâtiment dans les dix ans à partir de la réception. Concrètement, il s’agit de dommages matériels qui ne permettent plus d’habiter la maison ou de l’utiliser comme prévu. Par exemple, cela peut être :

  • Les problèmes de condensation liés à des ponts thermiques (dont la responsabilité peut alors être liée à la conception, l’exécution ou à la dégradation des matériaux isolants par exemple).
  • Le risque de non atteinte de la température conventionnelle d’hiver : c’est un risque qui existait déjà avant la RT 2012, dans les cas où le système de chauffage est mal dimensionné.
  • Le risque de non respect du confort d’été. Le juge a toujours une attitude assez pragmatique à ce sujet. S’il est impossible d’avoir une activité normale de longue durée, alors il considère qu’il y a impropriété à la destination et donc mise en cause de la garantie décennale.
  • Dysfonctionnement des installations entraînant une absence totale de chauffage. Nous avons déjà des déclarations de  sinistres sur des pompes à chaleur qui tiennent difficilement 10 ans pour  lesquelles souvent la solution technique repose sur leur remplacement pur et simple.
  • Nous avons aussi des craintes sur la mauvaise qualité de l’air intérieur liée au problème de ventilations défectueuses voire non entretenues. En cas de sinistre, nous devrons alors apporter la preuve de l’absence d’entretien. Les occupants doivent donc se préoccuper de prendre des contrats d’entretien  pour la VMC sachant qu’il n’y a aucune obligation légale sur ce point. A ce sujet, lors des premières règlementations thermiques, l’isolation des bâtiments entraînait des problèmes de qualité de l’air intérieur et des moisissures dans les bâtiments. Après expertise, on constatait systématiquement que les occupants bouchaient les entrées d’air entraînant des moisissures. Il a fallu que les consommateurs apprennent à utiliser un bâtiment isolé et ventilé. Avec le saut énergétique de la RT 2012, il va falloir apprendre à utiliser ces bâtiments très performants et on risque d’avoir de nouveau une hausse des sinistres.
  • Les désordres phoniques pourraient augmenter car avec l’exigence d’étanchéité à l’air et l’isolation importante, les bruits intérieurs sont amplifiés.

Dans le cadre de cette analyse globale des risques ci-dessus, je pars bien sûr du principe qu’il a été fait une étude thermique conforme et respectée sur le chantier. Evidemment, il y a aussi les risques d’absence d’étude thermique et d’étude thermique partielle (calcul du Bbio uniquement) qui entraîneront certainement  des sinistres à l’achèvement des travaux et/ou dans les 10 ans qui suivent.

Enfin, il y a un nouveau risque identifié mais dont on n’a pas encore parlé : c’est la surconsommation. C’est un risque très important et il ne peut être banalisé car les occupants seront tentés de s’appuyer sur leur facture c’est-à-dire la consommation réelle alors que seule la consommation conventionnelle doit être prise en compte. La vraie problématique aujourd’hui sur ce risque est de savoir comment une surconsommation peut être appréhendée par un juge d’un point de vue juridique : sur quel fondement pourrait-il accepter la demande d’un maître d’ouvrage ?

Quelle stratégie mettez-vous en œuvre pour palier à ces risques ?

En premier lieu, la MAF fait beaucoup de communication et de prévention auprès des adhérents à l’image de la fiche-conseil sur les études thermiques en maison individuelle ou le carnet d’expert Sénova sur MAFCOM. Ces actions permettent de sensibiliser les adhérents aux risques liés à ces nouvelles réglementations.

Il faut savoir qu’un particulier ayant fait construire sa maison a plusieurs voies pour rechercher les responsabilités des constructeurs (les entreprises, son maître d’œuvre, ses BET) :

garantie décennale

  • La garantie décennale : en soulevant l’impropriété à la destination,
  • La responsabilité contractuelle de droit commun : Il faut apporter la preuve d’une faute des acteurs de la construction (entreprises, architecte, BET).
  • Le juge peut aussi appliquer la théorie des vices intermédiaires : ce n’est pas de la décennale car il n’y a pas la notion de gravité et l’on n’est donc pas dans l’assurance obligatoire. Il s’agit d’une responsabilité de 10 ans  de conception purement jurisprudentielle. Pour les architectes et BET assurés à la MAF ou EUROMAF, cette responsabilité est toujours garantie mais pour les entreprises ce n’est pas toujours le cas, c’est selon l’assureur.

C’est  donc sur le risque de la surconsommation énergétique que l’interrogation est la plus forte aujourd’hui. Il y a donc eu un rapprochement entre de nombreuses fédérations

[la FFB, la FPI (promoteurs), l’ordre des architectes, le CINOV syndicat des bureaux d’études, la FFSA (assureurs)] pour proposer un texte d’encadrement de la responsabilité de la performance énergétique aux pouvoirs publics.

Ce texte a été publié dans le cadre du rapport du « Plan Bâtiment Durable »  issu de la réflexion d’un groupe de travail sur « La garantie de performance énergétique » sous la présidence de Michel HUET et Michel JOUVENT.  Cet article à pour objectif de sécuriser tout en faisant de la pédagogie et en rappelant :

  • qu’en matière de performance énergétique  la destination de l’ouvrage, s’entend de la réglementation thermique, qui impose un niveau de consommations conventionnelles (5 usages) apprécié sur l’ensemble de l’ouvrage et non lot par lot ;  en aucun cas l’appréciation de la performance ne prend comme référence les consommations réelles ;

Le texte fait, en outre, des propositions de cadrage. En particulier, il cherche à contenir les réclamations possibles sur le  fondement de la garantie décennale et précise qu’il faut :

  • que la surconsommation dépasse un certain seuil pour laisser une marge de tolérance ;
  • qu’il y ait des dommages qui affectent matériellement l’ouvrage  et non seulement un préjudice uniquement pécuniaire (surconsommations en euros).
  • que le contrôle soit réalisé sur les mêmes bases (version logicielle, données…) que celles utilisées lors de la construction.

La consommation énergétique d’un bâtiment de ce niveau d’isolation n’est pas liée uniquement au chauffage mais surtout à  son utilisation par les occupants. Il est important de trouver un cadrage raisonnable afin de ne pas se trouver face à une dérive judiciaire.

Dans la mesure où un bâtiment fonctionne bien, sans problème de température, sans moisissure etc. : pourquoi faudrait-il investir des milliers d’euros pour obtenir un calcul conventionnel juste ? Il est possible que le MOA subisse un préjudice financier  mais pour autant le magistrat va-t-il condamner les constructeurs à des milliers d’euros d’indemnité ou à raser le bâtiment ?

En effet, il faut savoir  que pour un appartement de 65 m² dans un bâtiment RT 2012, une augmentation de CEP de 20% représente une surconsommation de l’ordre de 45€ par an.

A ce jour, notre rôle est d’alerter les pouvoirs publics sur le risque de dérive tout en sachant que la jurisprudence est assez hésitante sur ces sujets là : les décisions  rendues sont très différentes d’un tribunal à l’autre.

L’absence d’encadrement est néfaste à terme car il y a une insécurité juridique pour le constructeur, l’assureur et le consommateur.

Pour le risque de qualité de l’air, il faut que les constructeurs dans leur globalité expliquent aux occupants que ces bâtiments nécessitent un certain nombre de contraintes, et notamment des contraintes d’usage et d’entretiens. Il faudrait envisager  de rédiger des  guides à remettre au maître d’ouvrage par les constructeurs à la livraison mais nous n’en sommes pas encore là.

La loi prévoit que les architectes peuvent signer les attestations RT 2012 à l’achèvement des travaux. Est-ce un risque ?

A partir du moment où l’on signe une attestation et que l’on s’engage, il y a toujours un risque. Maintenant, dans la mesure où l’architecte a eu une mission complète et qu’il a suivi l’intégralité des travaux, le risque est mesuré.

Le risque c’est la signature de complaisance ou la signature en dehors d’une mission complète. La MAF ne garantira pas cette prestation s’il n’y a pas de concepteur en amont. Nous reprenons dans le détail toutes nos conditions de garanties dans la fiche MAF sur la RT 2012. Elles dépendent de la prestation de l’architecte.

On voit fleurir des offres d’études thermiques à très bas coûts : qu’en pensez-vous ? Est-ce un risque pour la MAF ?

Les consommateurs vont toujours rechercher dans un premier temps le prix. En tout premier lieu, il faut absolument avoir l’attestation d’assurance pour vérifier que le BET est assuré pour la mission qui lui est confiée : si le BET prescrit des marques, références ou autre dimensionnement, il doit être assuré en garantie décennale pour de la maîtrise d’œuvre BET thermique. Chaque assureur a ses définitions, il faut être attentif à l’attestation d’assurance.

Sur la qualité même de la prestation, il est évident que l’architecte et le maître d’ouvrage doivent être attentifs à la qualité de ce qui leur a été rendu. La MAF ne dispose malheureusement que de très peu de moyens d’action.

Qui portera la responsabilité en cas de non-conformité à la RT 2012 à l’achèvement des travaux (cas du sinistre avant réception) ?

Il y aura deux solutions :

  • Soit la problématique peut se régler dans le cadre du chantier, les ajustements sont à faire et peuvent être fait par les intervenants sur le chantier. Dans tous les cas, il faut le régler le plus vite possible à l’amiable avant que l’entreprise ne soit trop fragilisée voire disparaisse si le surcoût est important.
  • S’il y a une vraie difficulté, il faudra avoir recours à une expertise en sachant que dans la mesure où l’on n’est pas à la réception, l’assurance des intervenants n’est pas forcément mobilisable…

D’où finalement l’importance de détecter ces risques le plus tôt possible et de bien suivre les recommandations des fiches conseil MAF sur les études thermiques et la RT 2012.

Si la garantie décennale ne s’applique pas, quels pourraient être les recours possibles pour les particuliers qui se rendent compte après coup que leur maison n’est pas conforme ?

Le particulier doit savoir que s’il soupçonne un problème lié à la consommation, ce n’est pas par rapport à sa facture d’énergie finale mais bien par rapport à la consommation conventionnelle qu’il faudra regarder. S’il veut faire une réclamation, elle ne peut se faire que sur la consommation conventionnelle. Et comme il n’est pas en mesure personnellement, de déterminer s’il y a un problème à ce niveau-là, il lui faudra faire appel à un professionnel (bureau d’études thermique et contrôleur technique accrédité) pour le constater.

L’anomalie doit être constatée par la même méthode avec le même référentiel qu’au moment de la construction (mêmes masques, mêmes tests d’étanchéité à l’air, matériaux d’origine aux qualités d’origine, même version du moteur de calcul etc.).

Il ne faut pas vendre trop de rêve aux gens : les KWh de la réglementation thermique ne sont pas les KWh de la facture d’énergie.

Dans ce cadre, quels conseils donnez-vous à vos adhérents architectes ?

Le premier conseil est de faire appel à un bureau d’études thermiques et de constituer une équipe pour la conception générale et de rester en contact proche en cours d’exécution. Il ne faut pas se contenter d’une étude thermique mais bien d’une collaboration en proximité pour toute la conception.

Un ami vous annonce qu’il se lance dans un projet de construction neuve : quels conseils lui donneriez-vous ?

Je lui conseille de commencer par prendre un architecte et de financer toutes les études techniques nécessaires à la bonne réalisation de sa construction dont bien entendu la mission d’un bureau d’études thermiques qui fait partie des missions indispensables à ce type de projet. Je lui conseillerai de s’entourer d’un bureau d’étude maîtrisant bien les sujets.

MAF